Oraison funebre - eglise de fronsac - 13/8/14

 
 

Très chers amis,

Ma chère famille,


C’est avec beaucoup d’émotion que je partage avec vous ces dernières pensées, tentant de résumer 91 ans de la vie d’homme de bien.

Ce ne seront pas seulement mon témoignage et mes souvenirs, mais aussi ceux de mes proches qui me confient le soin de parler en leur nom.


Je commencerai à parler de l’homme en évoquant sa moitié, Patricia, qui fut sa tendre épouse durant presque 40 ans et qui fit preuve d’un dévouement et d’une affection sans faille pour apporter les meilleurs soins à Yves dont les 10 dernières le vit fragilisé par l’âge.

Toute l’assistance ici réunie te témoigne, Patricia, de sa profonde gratitude et de son affection. Nous partageons ton chagrin.


J’évoquerai maintenant un homme qui fut un véritable phare guidant nos routes, éclairant nos esprits et réchauffant notre cœur.


Il contribua tout d’abord à faire de nous des hommes libres, choisissant à 20 ans de rejoindre la Résistance. Ce fut ensuite à 22 ans son baptême du feu sur les côtes de Provence où il dût faire du mal pour faire le Bien. Du pire moment de son existence, en février 1945, au plus profond de la forêt enneigée des Vosges à la poursuite de l’ennemi qui laissait derrière lui des mines antipersonnel et des tireurs embusqués, Yves en a tiré une formidable force : celle de ne plus craindre la mort !

De cette confrontation victorieuse, Yves a compris combien il est important de profiter de la vie sans avoir peur de la mort qui viendra bien un jour, mais plus tard…


Une deuxième confrontation avec la mort survient en 1985-1986 à l’occasion de la disparition cruelle et précoce de son frère Henri et de sa sœur Monique. Son chagrin, lui rappelant la disparition de son frère tant admiré, Amaury, en 1945 en Allemagne lui cause des premiers soucis de santé, d’ordre cardiaque. Une fêlure apparut alors sur la carapace d’Yves.


Mais c’est surtout chez nous, ses proches, que sonna le tocsin car nous prîmes alors conscience de la fragilité insoupçonnée de l’homme. Prenant tout la mesure de la nature combien éphémère de la vie, nous nous sommes employés à profiter d’Yves au maximum chaque jour malgré la distance qui, pour ma part, me tenait parfois éloigné, hélas. Ainsi, loin des yeux mais près du cœur, j’ai reçu comme un véritable fils son enseignement et sa tendresse.


Nous ne voulions pas reconnaître le bonheur au bruit qu’il fait en partant. Nous avons alors intensément profité de sa présence, de sa sagesse, de son affection et même de son épicurisme.


La jeunesse de son épouse, Patricia, et l’arrivée de Cyril son plus jeune fils, alors qu’Yves avait 61 ans, furent pour lui un bain de jouvence et une joie quotidienne, renouvelée par la naissance de son dernier petit-fils, Hugo, qui a aujourd’hui 5 ans et qui devrait donc garder le souvenir de son grand-père.


L’un des enseignements les plus chers d’Yves fut de nous apprendre le bonheur : savoir le reconnaître, le susciter, le régénérer.


Impossible de rendre hommage à Yves sans honorer également l’homme de lettre et de théâtre (auteur, metteur en scène, acteur) : sa passion qu’il aimait tant partager avec ses amis, montant ainsi une troupe de théâtre très instruite et ludique à la fois.


Doué d’une plume fine et élégante, mais aussi d’un goût immodéré pour une gestuelle très théâtrale, savait contourner sa grande pudeur pour exprimer sa sensibilité à travers la vie rêvée de ses personnages, laissant souvent au lecteur l’émotion de parfois se reconnaître dans le récit ou de se souvenir d’un épisode de la vie partagée avec lui. Les âmes sœurs, l’arbre du voyageur, une rivière au loin, le ciel changeant d’Estoril, la ferme d’Elias… autant de messages et de jalons !


Une troisième confrontation avec la mort prit Yves par surprise il y a quelques années lors du décès brutal de Pierre-Alexis et de Yann, ses fils qu’il aimait et qui l’attendent au tombeau pour d’ultimes retrouvailles.


Homme d’esprit et de principe, Yves a adopté un code de conduite et s’y est tenu toute sa vie, ne méprisant jamais quiconque, ne calomniant jamais, ne jalousant jamais, n’abusant personne.


Sans pouvoir être qualifié de pratiquant eu sens des principes de la vie Chrétienne, Yves sans aucun doute pratiquait assidument le premier des préceptes du Seigneur : il aimait ses semblables et faisait le bien autour de lui.


L’homme était attaché à la terre. Sa terre natale de Bretagne dont il appréciait tant l’air iodé et vivifiant, que la profondeur d’âme de ses habitants. Les terres du Gaby, aussi, où sa famille et ses nombreux neveux aimants et aimés se rassemblaient dans la joie, les vacances venues. Nous avions craint que disparaisse cette merveilleuse alchimie des gens et du lieu lors de la vente du Château du Gaby en 1988, mais la suite de l’histoire a prouvé que le domaine de Rateau deviendrait le réceptacle si hospitalier de nos futurs souvenirs.


Je souhaite maintenant rendre un hommage tout particulier à la qualité des hommes et des femmes qui furent les amis d’Yves. Qu’on se rende bien compte ! des amitiés, pour beaucoup, longues de 60, 70, voire 80 ans ! Chers amis, je ne pourrai tous vous citer tant vous êtes nombreux mais aussi parce qu’il y a tant à dire sur chacun d’entre vous. Peu de gens peuvent s’enorgueillir d’une telle intensité , d’une telle fidélité en amitié.

Vous qui êtes venus aujourd’hui ou qui lirez ces lignes pour participer à ce dernier hommage, frères d’armes, amis d’hier, d’avant-hier ou de toujours, du Nigéria, d’Afrique du Sud ou du Libournais : merci à vous du fond du cœur d’avoir été aussi généreux avec Yves.


Choisir ses amis comme ses valeurs et s’y tenir : telle fut la règle de vie d’Yves Gaultier de Kermoal. Ce legs, nous le chérissons et le ferons perdurer aussi longtemps que la mémoire des hommes le permettra.


Dans la nuit du tombeau où tu reposes enfin, Yves, ne doute pas de notre amour. Rejoins maintenant le Seigneur dans Sa lumière et embrasse nos chers disparus partis plus tôt.


Nous imaginons, amusés, ta prochaine entrée sûrement très théâtrale devant le tribunal de Saint Pierre !


Bom Bom Bom Bom Bom Bom Bom Bom Bom Bom Bom…

Bom

Bom

Bom

(le rideau s’ouvre…)